Puisque Julien et Kevin- ami notoire de Yannick et son compagnon- sont venus nous rejoindre avec l’idée d un fol périple Istanbul/Antalya en 3 semaines -un millier de kilomètre au moins, nous avons ete quelque peu contraints -avec plaisir pour un passage en legerete- de prendre des grands axes en auto stop. Le camion stop est un sport très praticable dans ces contrées bien fournies en pıck up et en poids lourds, nous permettant d’enchaîner les routes entre Yalova et Turgutlu en passant par Bursa -l ancienne capitale Ottomane et Pergame, l ancienne grande cite grecque, pille par les allemands. Ainsi, nous avons découvert qu ‘en Turquie se pratique une culture de la route hors pair, qui consiste pour le chauffeur à partager le plus de temps possible avec son passager occasionnel. Il nous propose de s arrêter tous les 50 kilometres, pour boire un thé, manger un morceau ou acheter de l’eau. Offres que nous declinons bien souvent, car traîner dans les transports en commun, c’est bon pour les parisiens, ca, pas pour les aventuriers. Ces rencontres sont parfois surprenantes. Nous découvrons la culture locale et apprenons a identifier les gens cingles, discrets au premier abord. Un conducteur très obsede, nous confiait qu’il est facile de « se faire des iraniennes, il suffit seulement de payer la chambre d’hôtel ». » Y a-t-ıl beaucoup de françaises en France ? Je ne m’intéresse qu’aux petites jeunes de 20 ans » dit-il du haut de ses 50 balais. Vous imaginez mon mal-aise ?
Il a fallu un temps d adaptation inconfortable pour réaliser que si les hommes d’ici ne m accordent pas un regard ni ne me serrent la main, il s’agit d’une marque de respect-ne pas violer du regard. Les femmes agissent d’ailleurs de même envers les hommes -peut-etre davantage parce que les relations inter sexe sont très séparées. Au début, imaginez comme dans les milieux masculins, cela est déroutant de se voir mise au ban, on se sent drôlement paria. Une seule issue ici dans les familles de cette culture-la -car tous n’agissent pas de la sorte, cela dépend de leur éducation, dıversıfıee en Turquie- penetrer le milieu des femmes. C’est ce qui m arrive malgré moi, dans un petit village du bout du monde ou je suis seule pendant que Yannick et ses amis s’attaquent sportivement a la montagne environnante. Le décor est splendide, un brin arizonıen dream et je m’eclipse en fait bien rapidement pour méditer tranquillement. Les femmes sont gentilles et m’entourent de leurs bons soins, lavent mon linge dans leur machine, m’invitent a dormir avec elles et a manger tout au long de la journée. Entre elles le foulard tombe, comme un accessoire de mode laisse de cote. L’une d’entre elle me pince la joue comme si j’avais trois ans, je dois faire la moue, je crois. Au village, personne ne comprends pourquoi je me suis esquivée sans prévenir. Je tente une explication sur les différences culturelles, ou alaturqua c’est toujours tous ensembles et un peu lourd pour une voyageuse au long court qui vient de contrées alafranca, ou l’ındıvıdualısme permet de méditer tranquillement dans son coin.
Il faut dire que nous sommes sans cesse sollicités. Pas moyen de se reposer à l’ombre d’une mosquée sans être envahit par une horde d’enfants curieux, repetant sans cesse « What’s your name », gentils mais bien trop nombreux et imposants, il nous arrive désormais de les fuir comme la peste. On trouve aussi de ces hommes paternalistes ou trop concernes qui étudient avec soin notre route sans que nous ne leur ayons rien demander et émettent leurs avis, nous retenant trop longtemps pour nous conseiller des itineraires inadaptés de grandes routes. Si nous penetrons dans un foyer, nous sommes certes choyes, on nous invite souvent a boire des tchai et a grailler, mais en contrepartie, on nous prend pour une attraction. Il nous faut nous mettre en représentation, poser pour d’interminables séances de photos souvenirs et répondre a quantité de coups de téléphone donne par nos hôtes aux amis et a la famille pour témoigner de la présence d’un touriste au village. Pas facile de recharger les batteries dans ces harcèlements psychologiques qui ne nous permettent pas d’être seuls.
Phénomène intéressant, il nous arrive d’être accueillis par des turcs français ou des turcs allemands de retour au pays le temps des vacances. Les rapports de migrations s’inversent. Eux qui connaissent souvent des difficultés d’ıntegration dans les pays d’accueil sont à présent dépositaires des clefs de la culture turque, nous sommes en position d’apprentissage, leurs hôtes proteges, partageant pour un moment cet à cheval culturel dans le sens inverse du leur. Nous évoquons ensembles des villes et des coutumes occidentales lointaines, et eux sont contents de l’intérêt que nous portons a leur culture, d’accueillir des français chez eux qui les reconnaissent comme français ou allemands -l’humour nous est commun, quel plaisir. Ahmet de Charlevılle Mezıere nous apprend qu’un mois passe en Turquie équivaut a 7 mois en France, car ici il faut satisfaire, les amis et les voisins en repas continus tout au long de leur séjour et cela coute très cher.
Les turcs des campagnes travaillent d’arrache pied dans les champs. Pour certains la nuit même, car la journée le soleil de plomb brûle et liquéfie. C’est la saison des récoltes. Nous pedalons d’une chaîne de montagne a l’autre entre Turlugtu et Denizli, appréciant des paysages diversifiés marques par une aridité estivale. Pour se rafraichir lors des pauses, on enchaine les ablutions a la mosquee. (Pourquoi en France ne peut-on pas avoir un acces a l’eau si simple alors que nous sommes mieux pourvus ? )
Apres l’exploration de le greco-romaine Bergame et de l’Ottomane Bursa, nous avons fait un tour du cote du Pactole et de la splendeur du roi Cresus, a Sarde, dont il reste éparses des restes de grands monuments romains, dont un magnifique Gymnase, rénove comme dirait Kevin a la façon d’une salle de bain kitsch. On devine la splendeur romaine passée quelques siècles après Cresus. A Dikili,cote sauvage pleine de petits pavillons construits sauvagement, nous degueulons la cote Egenne touristique, sans avis de preservations. Nous soupconnons quelque peu la mafia immobiliere d’avoir pris sa part, mais Egemen (homme de la mer Egee), notre hote Turko-Kurde nous remet les pendules a l’heure. Il est vrai que les rapaces visent plutot les hotels de luxe que les maisons haricots.
Pour l’heur nous avons quelques étapes du Tour de France a rattraper et un immanquable retour a Istanbul pour retrouver la famille qui s’y rend au 3 aout.
Bon ete a tous.